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Entretien avec Dominic
Lapointe
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le 26 Janvier 2009
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Myriad : Bonjour, M Lapointe, merci d'accepter
de répondre à ces quelques questions. Vous avez
remporté le Premier Prix du 20eme Concours Amical avec votre
oeuvre "La chasseuse de Râ" et nous voudrions
d'abord savoir qui vous
êtes.
DL: Bonjour, j’ai 29 ans et je vis à
Montréal (Québec, Canada, comme vous voudrez). Mon
parcours scolaire a été assez irrégulier, mais
j’ai obtenu récemment un baccalauréat en Histoire
à l’Université Laval. Pour vivre, je suis
alternativement recherchiste et traducteur (pigiste).
Myriad : Sur quel matériel travaillez-vous ?
DL: Un HP Media Center 8120, Quad Core, 2.40GHz avec 4 Go de
R AM, sous Vista (32 bits). Carte son intégrée.
(désolé, pas plus de détails
là-dessus…)
Mentionnons aussi que j’utilise à profusion le
Gestionnaire audio DD Realtek, et que j’ai un ensemble de
haut-parleurs Acoustic Authority et des écouteurs Sennheiser
qui me donnent des nuances (et des positionnements
stéréo) qui ne sont pas intégrées à
Melody, et qui sont par conséquent perdues sur un autre
ordinateur. Ça expliquera sans aucun doute les problèmes
de rendu qu’ont rencontrés les membres du jury, car ici
tout était (à peu près) à mon goût
!
Myriad : Quel est votre cursus musical ?
DL: Côté classique/composition, je suis
entièrement autodidacte. J’ai commencé par jouer de
la guitare électrique à l’âge de 14-15 ans, et
j’ai suivi des cours pendant plusieurs années avec
plusieurs profs différents. Des influences comme Rhapsody et
Yngwie Malmsteen m’ont poussé vers le classique, et vers
l’âge de 18(?) ans, je suis tombé par hasard sur le
Traité d’harmonie de Théodore Dubois. Je sais que
ce traité est presque unanimement détesté, mais pour
moi ça a été une révélation. Depuis que je
l’ai découvert, j’ai progressivement
délaissé la guitare pour la composition.
Myriad : Jouez-vous d'un instrument de musique (ou de plusieurs)
?
DL: Guitare électrique et classique. Il faut aussi
absolument que je me mette au piano dès que possible
!
Myriad : Quels sont vos goûts musicaux ? Vous pouvez citer des
artistes ou des genres musicaux si vous le désirez.
DL: Le classique, évidemment. À savoir qui je
préfère entre Bach et Beethoven, je ne saurais pas dire.
J’aime aussi énormément des romantiques comme
Schubert et Mendelssohn. Mes goûts sont variés, mais pas
aveugles (ou sourds disons) : je juge à la pièce. En
vrac : Django Reinhardt et Stéphane Grappelli, John
Coltrane, Charlie Parker, Angelo Debarre, Bratsch, Lúnasa,
Altan, Loreena McKennitt, Leonard Cohen, Sarah Slean, Brassens,
Renaud, Pink Floyd, Jethro Tull, Placebo, Iron Maiden, Metallica,
Megadeth, Blind Guardian, Emperor, Eminem, Public Enemy, Thievery
Corporation… Pour les compositeurs de musique de film,
mes préférés sont Bernard Herrmann (Vertigo !),
David Raksin et Maurice Jarre, mais mentionnons aussi ces autres
géants que sont John Williams, Nino Rota et Danny Elfman.
Myriad : Plus précisément, en ce moment, quelle musique
écoutez-vous ?
DL: Les concertos pour clavier de J. S. Bach, et le quatuor
en Fa mineur (Op.80) de Mendelssohn (les quatuors 14 et 15 de
Schubert ne sont pas très loin non plus).
Myriad : Quelles musiques n'écoutez-vous plus du tout ?
DL: Ça m’avait bien fait rire de lire dans
l’entretien avec Yannick Dilly qu’il
n’écoutait plus de « Heavy speed
symphonique », parce que j’en ai écouté
beaucoup moi-même, et moi non plus je n’en écoute
plus du tout (Blind Guardian à part). Il y a un artiste aussi
contre qui je suis très en colère, et qui mérite
mention : Yngwie Malmsteen. Après un premier album
chef-d’oeuvrifique (et un deuxième pas trop mal non
plus), de sombrer dans la facilité, la routine et le kitsch
comme ça, ça me semble impardonnable.
Myriad : Si l'on vous demandait de choisir une musique qui serait
placée dans une capsule à destination des habitants
d'Alpha du Centaure, quel serait votre choix ?
DL: Un quatuor de Beethoven, au hasard parmi les derniers
qu’il a écrits (l’Op.127 en Mib, tiens). Le plus
possible, une musique qui soit à la fois évocatrice,
émotionnelle et
« intelligente ».
Myriad : Si vous deviez être coupé du monde pendant un
an, quels sont les deux albums que vous emporteriez avec vous ?
DL: Non, vraiment, avec les lecteurs MP3 30 Go, cette
question-là ne tient plus ! Moi, j’emporte toute ma
collection avec des tonnes de batteries ! OK, pour le plaisir de la
chose, disons… Horowitz à Moscou (1986), et Thick as a
Brick de Jethro Tull.
Myriad : En ce qui concerne l'oeuvre qui a remporté le
concours, quelle a été votre source d'inspiration ?
DL: Première chose, l’image du chat sur le site.
Je suis très surpris que personne d’autre n’ait
pensé à l’Égypte en voyant cette image; pour
moi c’était frappant (allez voir à
« Bastet » sur Wikipédia ! – une
déesse qu’en passant je ne connaissais pas avant le
concours). Ensuite, disons que je cherchais à utiliser les
superpositions de cuivres (dans les lois), et pour les justifier,
là j’ai eu besoin de Sekhmet…
Myriad : Quel a été votre cheminement de composition ?
(les détails techniques intéresseront les lecteurs)
DL: J’ai d’abord cherché une gamme arabe,
histoire de ne pas simplement piquer à Maurice Jarre ses
effets pour Laurence d’Arabie. J’ai appris que dans la
musique arabe (qui n’est pas celle de l’ancienne
Égypte, mais bon), les gammes sont construites avec des
« ensembles » (ici, des tétracordes).
Pour la première partie, j’ai donc opté
pour le Maqam Hijaz (½t, 1½t, ½t, ici :
Ré, Mib, Fa#, Sol, le plus connu je dirais ), que j’ai
complété par un autre débutant sur Sib. J’ai
donc triché, parce que le résultat est une gamme de six
tons. J’ai traité le tout en Sol (mineur/majeur), puis,
pendant quelques mesures (à partir de 39), en Mib (sans rien
changer à la gamme : le Si fait office de Dob). Je
reviens en Sol grâce à une espèce de demi-cadence
style accord napolitain Mib-Ré (je n’ai pas accès
au La pour l’accord de Ré, mesure 60, donc
j’utilise Sib/La#).
Pour la deuxième partie, qui se voulait plus paisible,
j’ai choisi la gamme majeure la plus près possible, mais
en lui imprimant quand même le Maqam Hijaz : le
résultat : Si, Do#, Ré#(=Mib), Mi, Fa#, SOL et
A#(=Sib). C’est en fait la gamme majeure harmonique (on
n’invente jamais rien). On reste donc très près de
la gamme de départ. La transition se fait à la mesure 78,
grâce à un accord de Fa#7 (sans quinte, même si on
va l’9 entendre bientôt), qui fait entendre Mi pour la
première fois. Ce Fa#7 permet aussi de transformer le Sib en
La#, et de passer en Si (on tourne en fait plutôt autour
de V avant les mesures 112-113 et suivantes).
À aucun autre moment dans la pièce je ne sors de la
gamme choisie - exception faite de la courte modulation en Mib
à la mesure 126, justement là pour amener un tant soit
peu de nouvelles couleurs, et même là, c’est encore
la gamme majeure harmonique.
Pour les rythmes, j’ai eu recours à plusieurs endroits
à des divisions comme 6/8+1, ou alors 3/8+1+3/8 (i.e. quel que
soit leur agencement, deux noires pointées plus une noire pour
remplir une mesure de 4/4), ou autre divisions dans le genre.
Remarquez que c’est surtout ma propre perception des
mélodies « exotiques » (ici de type arabe
- très ornées et du domaine de l’improvisation) qui
m’a guidé pour les mélodies, plutôt
qu’une réelle recherche rythmique. D’ailleurs un
ami tunisien m’a assuré que ce n’était pas du
tout arabe tout ça, hehe. J’en suis assez content quand
même – d’ailleurs c’est l’ancienne
Égypte qui est évoquée ici non ?
Myriad : Avez-vous une anecdote à narrer ? Pas
nécessairement reliée à votre oeuvre mais en rapport
avec la musique.
DL: Je me suis toujours tenu loin de l’école pour
ce qui est de la musique, car je suis entré dans le monde de
la musique classique avec un profond dégoût de tout ce
qu’on qualifie de « contemporain »
(remarquez que je me suis ouvert depuis), et surtout parce que je
ne souhaitais absolument pas qu’on me tienne à distance
de ce que j’aime pour me faire écrire ce genre de
truc.
Arrive mon cousin qui lui s’y est inscrit et qui, comme de
raison, n’a pas trop aimé ses cours de composition. Un
jour qu’il était débordé, qu’il avait
une pièce à finir (style contemporain, bien sûr),
qu’il était bloqué et qu’il n’avait de
toute façon pas trop envie de terminer sa pièce, il me
l’envoie (c’est aussi un utilisateur de Melody), et
comme on écrit souvent des pièces à deux, je la
continue un peu, et je lui retourne. Lui y ajoute quelques mesures
et me la renvoie en me demandant si ça me dérange de la
terminer. Je l’ai donc terminée (5 minutes sur les 6
requises), et disons-le, ça ne m’a pas ennuyé un
seul instant, et j’ ai même plutôt pris plaisir
à l’exercice (au point de lui en écrire une autre
par la suite) !
Myriad : Quelles sont vos objectifs ou vos projets dans le domaine
de la musique ?
DL: Je voudrais en vivre un jour, très certainement,
mais je veux dans le même temps être satisfait à
100% de ce que j’écris. Comme l’a dit un des
membres du jury, la musique de film fait partie de mes objectifs,
en effet, tout comme la musique de jeu, car les deux me semblent
des avenues assez lucratives pour un compositeur, mais
qu’importe la manière d’en vivre au fond, je ne
souhaite vraiment que de continuer à9 composer, en
m’améliorant, et tout ça avec le moins
d’entraves possible.
Myriad : Avez-vous un site Web personnel ?
DL: Non. Tiens, ajoutons ça aux objectifs à court
terme.
Myriad : Avez-vous un message ou conseil à transmettre aux
lecteurs de cette rubrique ?
DL: C’est un conseil de Berlioz, je crois : il
faut le plus possible tâcher d’imaginer telle ligne
musicale qu’on écrit comme si elle était jouée
par un virtuose. Ce n’est pas facile (je voudrais
certainement le mettre plus en pratique moi-même), mais de
cette façon, on hésite moins à écrire des
choses simples (ou très compliquées, c’est selon),
qui ne pourront peut-être jamais être rendues aussi bien
par les logiciels midis (on s’éloigne de Berlioz ici
mais tant pis). C’est incroyable par exemple
l’intensité que toute une section d’excellents
violonistes peut donner à une simple ronde, grâce au
vibrato, à un crescendo, etc. On devient très vite
dépendant des logiciels midis (surtout quand ils sont de
qualité !), au point quelquefois d’écrire pour eux
plus que pour de vrais instruments, maniés par de vraies
personnes.
Myriad : Quelles autres questions auriez-vous aimé que l'on
vous pose ? Quelles auraient alors été vos réponses
?
Question : Qu’allez-vous faire de vos cinquante
millions ? Réponse : Euh… me payer mon orchestre
personnel !
Myriad : Merci d'avoir répondu à ces quelques
questions.
DL: Mais de rien ! Avant de terminer, je voudrais
féliciter les personnes responsables des choix des thèmes
imposés pour les concours. Ils sont très variés et
originaux, et c’est un défi autant qu’un plaisir
d’essayer de trouver des idées s’y rapportant.
(PS : si vous manquez de thèmes, j’en ai
moi-même un à proposer !)
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